vendredi 25 avril 2008

Mère, fille, une histoire tissée au fil des siècles


article écrit par Anne Bonnefond dans un magasine dont j'ai oublié le nom!

Fusionnelle, passionnelle, confictuelle, la relation entre les mères et les filles est complexe et très spécifique. Une historienne Gabrielle Houbre, a recherché, dans les deux siècles passés, comment s'est structuré ce lien. son livre, passionnant et magnifiquement illustré "Histoire des mères et des filles" (édition La Martinière), éclaire des singularités qui perdurent.

Qu'elle l'admire ou le rejette, le modèle maternel est, pour une fille, la référence incontournable. Pas seulement parce qu'elles sont du même sexe, mais parce que l'Histoire, la société, leur a imprimé ses exigences.

Educatrices

Le rôle des mères auprès des filles s'est façonné de manière forte à la fin du XVIIIe siècle, nous apprend Gabrielle Houbre. La faute à Buffon et à Rousseau qui voient essentiellement de la vulnérabilité dans la "nature féministe, subordonnée à son corps, à sa fonction reproductrice et à sa capacité maternelle." La mère est considérée comme une éducatrice et elle n'est que ça. On lui confie donc les enfants, mais en faisant une différence notable entre les garçons et les filles. Les garçons seront sous sa garde jusqu'à 7 ans - ils sont, jusque-là, habillés comme les filles, d'une robe sur un pantalon - puis il partiront en pension ou bien, selon les milieux sociaux, ils travailleront avec le père. En tout cas, ils doivent s'endurcir. Les filles, elles, resteront sous la tutelle maternelle jusqu'à leur mariage, car seules les mères sont jugées capables de veiller sur leur vertu, de leur apprendre à devenir des épouses, obéissant à leur mari, et, à leur tour, des mères de familles dévouées. Pour y réussir, il fallait un contrôle absolu de la mère sur la fille. Comment y parvenir?

Le journal intime

"A partir du Second Empire, les mères offrent un cahier de façon presque obligée à leurs filles et les poussent à rédiger un journal avec soin et régularité", note Gabrielle Houbre. Des confidences que les mères s'autorisent à lire. "Il s'agit de se donner les moyens de surveiller les sentiments, le comportement, l'évolution de l'enfant", poursuit l'historienne. Il faut aussi développer une complicité permettant d'obtenir que l'adolescente se conforme aux grandes règles morales et au modèle féminin de l'époque, caractérisé par la modestie, la docilité, l'humilité. Sinon, les mères peuvent infliger des châtiments corporels aux filles; les garçons, eux, sont traité avec dureté, non par les parents, mais dans les collèges où ils sont éduqués.

Inséparables

Des contes, comme le Petit chaperon rouge, montre l'imprévoyance des mères quand elles laissent s'éloigner les enfants. Ainsi, même si certaines filles allaient à l'école à partir de 1880 (lois de Jules Ferry), d'autres, dans la bourgeoisie et l'aristocratie, bénéficiaient d'un précepteur à la maison. La mère pouvait, en parallèle, continuer son enseignement, "fée du logis": travaux d'aiguilles, tenue de la maison, bienfaisance... Toujours en vue d'un mariage qui assurera "la continuité de la partition sociale des sexes et donc la persistance des inégalités entre les hommes et les femmes", note Gabrielle Houbre. De même, il incombait à la mère de renforcer la surveillance lors de cette période trouble qu'est la puberté. A elle de censurer les romans qui pourraient éveiller des curiosités mal venues, de déceler les émois suspects, de prévenir des faux-pas entachant le vertu. Tout en cultivant "la pédagogie de l'ignorance et de la contrainte." Il faudra attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour les mères cessent de reproduire avec leurs filles, le silence dont elles ont elles-même souffert face à l'éducation amoureuse ou corporelle.

La poupée

Un jouet, la poupée? Pas seulement. Elle fut, en d'autres temps, un objet stratégique. " Elle perd la réputation de frivolité qui lui était attachée depuis des siècles pour gagner celle d'auxiliaire précieux pour l'apprentissage des fonctions maternelles, observe l'historienne. L'accent est mis sur le mimétisme materne que la poupée suscite. Elle devient le prétexte idéal à l'acquisition de techniques exclusivement féminines comme la couture, l'hygiène, des apprentissages véhiculés par la mère."On conseillait aussi aux mères d'écouter le babil de leurs filles à l'adresse de leur poupée pour comprendre la psychologie de l'enfant et, là encore, connaître ses petits secrets.

La mère, marieuse agréée

Tant que le mariage eut une valeur marchande, les mères se transformaient en "agents matrimoniaux zélés", rapporte l'historienne. Entre les inclinations amoureuses des filles et les ambitions sociales de la famille, la plupart n'hésitaient pas. Elles avaient subi cette loi, elles l'appliquaient à leur tour. L'union scellée, elles restaient souvent influentes auprès de la jeune épouse qui subissait donc double autorité: maritale et maternelle. surtout si les deux générations cohabitaient, comme cela arrivait encore fréquemment jusque dans les années 1950. D'où les discordes entre les belles-mères et leurs gendres, qui ont fait les beaux jours des vaudevilles. Il arrivait aussi que le lien mère-fille soit si tendre, si fusionnel que la séparation en était rendue très douloureuse. Surtout face à un homme qui ne faisait pas battre le coeur. Quoi qu'il en soit, la mère venait assister et aider sa fille lors de la naissance des enfants. Complicité, transmission, autorité, proximité... En est-on si loin des nos jours?

Évolution? pas si sûr!

A quelques exceptions près, il faut attendre les années 1960-1970 pour que le modèle de relation mère-fille, conceptualisé avec tant d'opiniâtreté au XIXe siècle, soit pleinement et collectivement contesté par les femmes. Simone de Beauvoir dans le "Deuxième sexe", ElenaGianini Belloti avec "du côté des petites filles" mais aussi Marie Cardinal, Marguerite Duras, Annie Ernaux y ont apporté leur contribution, ainsi que les films d'Ingmar Bergman, par exemple. Mais l'historienne admet que lorsque les mères s'essayent à "une éducation moins inégalitaire" entre les filles et les garçons, quand elles cherchent à juguler les velléités d'identification de leurs filles aux valeurs féminines peu progressistes, le succès demeure inégal. Il n'empêche " en refusant de reproduire à l'identique un modèle maternel grandement hérité du siècle précédent, elles ont contribué à instaurer un débat dynamique et salutaire".

C'était écrit...

"Une fille ne doit s'éloigner des regards de sa mère que pour être sous la sauvegarde d'un mari." assurait Henri Duval, un pédagogue du XIXe siècle.

"L'action de la mère se fait surtout sentir sur ses filles. Elle se plaît à retrouver dans leurs traits les siens propres. (...) Ce qu'est la mère sera la fille.", écrivait au début du XXe siècle, le directeur de l'école normale du Tulle.

"Une petite fille doit toujours faire elle-même les robes et les petits vêtements de sa poupée. Cela vaut mieux que de les acheter tout faits dans un magasin de confection. La petite maman prépare la toilette de sa poupée pendant que celle-ci dort, et lorsqu'elle va à la promenade avec elle, elle est fière de voir sa petite fille si bien habillée."
Extrait de "l'Education de la poupée" par le Dr Brochant, médecin et pédagogue (1881)

"A la mort de sa mère, la jeune Gracieuse a la douleur de voir le roi son père se remarier avec la riche et despotique duchesse Grognon qui déclare: "Je veux être la maîtresse de votre fille comme l'était sa mère, qu'elle dépende entièrement de moi..." Extrait de "Gracieuse et Percinet",contes de Mme d'Aulnoy (XVIIe siècle)